24 janv. 2012

On met pas notre cœur sur eux cette année.


copyright:caric-actu

        Les ivoiriens ont vraiment du talent. « Ils ont fini avec ça » comme ils disent eux-mêmes. Et en la matière, ils viennent d’ajouter un autre trophée à leur palmarès. Champions du monde de l’autodérision, maîtres incontestés de l’auto flagellation, recordmen de l’autocensure.
        A l’occasion de cette Coupe d’Afrique des Nations, il faut les entendre dans leurs salons, dans les rues, sur les marchés et dans les bureaux. Il faut entendre les ivoiriens parler de leur équipe nationale qui participe à cette coupe : «cette année on met pas notre cœur sur eux », « on sait que c’est pour aller verser notre figure par terre encore ». A la maison, ma sœur cadette à même dit : « je regarde même pas leur ballon-là même cette année ». Et comme pour joindre l’acte à la parole, les ivoiriens ne se sont pas vraiment arrachés les imitations de maillots de l’équipe nationale chez les vendeurs ambulants comme c’est généralement le cas pendant la période de la CAN. Les taxis et autres Wôrô-wôrô n’ont pas affiché unanimement le petit drapeau national sur leurs antennes. On n’a pas entendu de joutes verbales passionnées au sujet de l’équipe nationale dans les lieux publics. Bref, rien de cette frénésie qui s’empare habituellement d’Abidjan à l’approche de cette compétition.
        Même les annonceurs qui attendent habituellement cette période pour nous bombarder de campagnes publicitaires aux accroches patriotiques forcées ne se sont pas montrés particulièrement loquaces cette année à part quelque grosses firmes. Que dire alors de ces hymnes aux éléphants d’une qualité musicale douteuse rapidement pondus pour la circonstance par nos chers artistes? En tout cas on ne nous a pas rabâché les oreilles cette année avec des « éléphants oooooooooh !, éléphant aaaaaaaaaaah ! » produits dans des studios d’enregistrement à deux sous. Dieu Merci.
        J’étais donc en train de croire que mes compatriotes étaient déçus de leur équipe nationale. J’ai même failli être convaincu que le peu de patriotisme qu’il  restait encore aux ivoiriens avait fini par être tué par les échecs successifs de l’équipe nationale de foot en Coupe d’Afrique. Mais les indices de mon erreur ont commencé à s’accumuler  à quelques heures de l’entrée en lice des éléphants Dimanche dernier : Les rues se sont miraculeusement vidées. Vraiment bizarre pour un peuple déçu de son équipe. A la maison, celle qui proclamait son désintérêt  pour cette compétition quelques jours plus tôt fut la première à saisir la zapette. Fallait voir cette férue de feuilletons brésiliens zapper entre les deux seules chaînes de télé qui retransmettaient ce match pour déterminer laquelle de ces chaînes était en avance sur l’autre. Vraiment bizarre tout ça. Puis est arrivé l’unique but de la partie marqué par le pachyderme en chef Didier Drogba. J’ai alors entendu une clameur se lever d’un quartier « désintéressé » par la Coupe d’Afrique. J’ai vu des ivoiriens déçus par leur équipe célébrer la victoire de cette même équipe. Je suis même sorti au balcon me rassurer qu’il n’y avait pas un nouveau « gbangban » dans la capitale. Des sons de Vuvuzela sont venus me rassurer dans ce quartier qu’on dit huppé et d’ordinaire si calme. Tout simplement surréaliste. J’ai fini par comprendre que les ivoiriens aiment vraiment se mentir à eux même.
                Arrêtons ça.
         Le patriotisme n’est pas cette femme qu’on peut répudier au gré de ses humeurs. On a le droit d’être déçu par les prestations en demi-teinte de notre équipe nationale. On a le droit d’être frustré par des joueurs dont le manque d’enthousiasme en équipe nationale frise quelque fois la tricherie, tant ces mêmes joueurs brillent dans les championnats européens. Mais on n’a pas le droit de ne pas se sentir concerné par les prestations de notre équipe nationale, cette équipe qui joue en notre nom à tous. On a pas le droit d’attendre que les éléphants se qualifient pour le second tour de cette CAN pour sortir nos drapeaux et autre maillots. Notre devoir est de les soutenir, quitte à manifester nos récriminations à la fin de la compétition. Et puis si nous ne soutenons pas notre propre équipe nationale, ce ne seront certainement pas les français - si occupés en ce moment à fouiller tous les coins et recoins pour retrouver une lettre de l’alphabet perdue récemment - qui viendront le faire à notre place. Le patriotisme ne se nourrit pas que de victoires. Il se manifeste également dans notre capacité à nous serrer les coudes, même dans la défaite.
                           Découvrez plus d'hommes et femmes de talent sur: Lesivoiriensontdutalent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire